"Je me suis beaucoup promené à travers mon temps, avec ou sans chemise, et quelque fois tout nu, sans me retourner, sachant que ce que les curieux et les curieuses pouvaient voir était de « bien portance », et d’aspect dont je n’avais pas à tirer honte. Et dans mes lettres comme dans mes dessins, j’ai toujours appelé, comme Boileau [...] : un chat, un chat !"1
Se moquant du qu'en-dira-t-on, Rops adopte une devise :
"Vertueux ne puis, hypocrite ne daigne, Rops suis."2
C'est un credo qu'il suivra sa vie durant, brisant les tabous et défiant l'ordre moral, aussi bien dans sa vie privée que dans son œuvre.
À partir de 1862, alors qu'il n'a que 29 ans, Rops réalise pour Auguste Poulet-Malassis, l'éditeur de Charles Baudelaire, trente-quatre frontispices qui souvent, ont une forte connotation érotique. Signant parfois sous divers pseudonymes, Rops imagine des dessins inspirés des textes érotiques comme Dictionnaire érotique moderne par "un professeur de langue verte" (1864) ou encore Serrefesse de "Pine à l'envers" (1864). Pour les éditeurs Gay et Doucé à Paris, Rops va illustrer des titres évocateurs comme Le Diable dupé par les femmes de FN Henry (1881) ou encore Les Cousines de la Colonnelle par "la Vicomtesse de Coeur brulant" (1882). Autant d'ouvrages qui donneront à Félicien Rops une solide réputation de pornographe, aussi bien en Belgique qu'en France.
Comme dessinateur, Rops se forge une image d'artiste sulfureux, non seulement parce qu'il dépeint le monde de la prostitution parisienne, mais aussi parce qu'il ne craint pas de montrer les accouplements humains, les "embrassements humains", comme il les appelle: "Le premier, & il fallait un certain courage pour le faire, j’ai soulevé sans vergogne le drap de lit qui cachait les héroïsmes des accouplements humains & les perversités modernes de la Chair,– on a hurlé au scandale, & j’ai vu le moment où mon buste serait placé à la porte du temple de la Pudeur, pour y être couvert de crachats."3 Il aborde les sujets sexuels et érotiques sans détour en prenant le contrepied du nu académique de l'époque ou de la représentation allégorique du sexe. Pour Rops, son art fait allégeance avec la nature humaine: "Naturalia non sunt turpia", les choses de la nature ne sont pas sales, écrit-il en marge d'une gravure.
Rops ne manque pas d'humour pour évoquer les pulsions humaines qu'il fait remonter à la nuit des temps: dieux et déesses se laissent aller à leurs instincts. À côté de la mythologie, l'artiste s'inspire également des recherches médicales de son temps, notamment celles du Dr Charcot à Paris sur l'hystérie féminine, ou des théories scientifiques, comme celles de Darwin et de l'évolution des espèces. Rops invente un monde surprenant où des organes vivent une existence autonome.
Dans sa dernière série, Les Sataniques (1882), Rops subit l'influence de l'esprit décadent de la fin du 19e siècle. Il y décrit une femme entièrement soumise à ses propres pulsions et liée au mal dans un pacte avec Satan. La femme perd le contrôle sur son corps ou ses émotions pour s'accoupler avec le diable.
Toutes ces œuvres, qui ne seront pas exposées du vivant de l'artiste, mais vendues à des amateurs choisis, célèbrent l'origine de la vie. Elles montrent également le grand respect qu'avait l'artiste pour l'énergie de vie, s'exprimant par la sexualité.
"Et comment veux-tu que l’on nous aime? notre façon d’aimer fait peur aux femmes! – parbleu, – nous les aimons ! ! notre imagination, – la sotte, – les revêt d’un manteau d’azur, nous faisons d’elles notre foi, notre religion ; nouveaux païens nous nous courbons devant l’idôle aux pieds d’argile, nous lui adressons nos prières dans une langue incomprise & nous faisons monter vers elle la myrre & l’encens des vrais Dieux! Simples Idiots !"4
1. Lettre de Rops à Edmond Deman, Corbeil-Essonnes, 31 octobre 1893. www.ropslettres.be, n° d'édition 105
2. Lettre de Rops à Emile Leclercq, Paris, s.d. www.ropslettres.be, n° d'édition 564
3. Lettre de Rops à Léon Dommartin, Paris, 19 juillet 1889. Collection Fondation Custodia, 1972-A.840
4. Lettre de Rops à un inconnu, s.l, s.d. www.ropslettres.be, n° d'édition 1266