Un enterrement au pays wallon (1863) : dans une lettre, Rops explique qu'il a fidèlement reproduit un enterrement auquel il a assisté par hasard, en se promenant à Namur. Toute sa sensibilité ressort de cette scène réaliste touchant à la caricature. Inspiré d'Un enterrement à Ornans de Gustave Courbet, Rops distille une pointe de cynisme face au clergé qui, absorbé par le culte, ignore tout de la douleur de l'enfant.
Les Épaves (1866) : En 1866, deux ans après sa rencontre avec Charles Baudelaire, Rops réalise pour l’écrivain, un frontispice typiquement "ropsien" pour Les Epaves, le recueil des poèmes censurés des Fleurs du mal. Rops développe ici un ensemble de symboles qu’il continuera à utiliser ultérieurement. Les frontispices qu’il réalisera durant toute sa carrière constitueront "la synthèse de sa pensée symbolique comme le frontispice est censé être la synthèse d’un livre"1. Cette collaboration confirme la réputation de Rops auprès des plus grands écrivains et éditeurs de son temps.
1. Hélène Védrine, De l’encre dans l’acide, Paris, Honoré Champion, 2002, p.145
Les Dames au pantin (1873-1890) : quatre dessins composent cette série réalisée sur près de 20 ans. De la simple cocotte dans un boudoir du 19e siècle regardant, amusée, un homme transformé en marionnette, la femme se transforme en meutrière, couteau à la ceinture. Du ventre du pantin coulent des pièces d'or : la femme vénale manipule l'homme et lui soutire ses richesses. "Ecce Homo", Voici l'Homme, dit la légende de l'œuvre, pendant qu'une danse macabre emmène les bourgeois vers leur destination finale. En cette fin-de-siècle décadente, nombreux sont les auteurs et artistes qui représentent une femme fatale et dominatrice manipulant la gent masculine. À travers cette série, Rops s'inscrit dans l'esprit de son temps et construit un discours saturé en symboles et références culturelles. "L’homme pantin de la femme, la femme pantin du diable", écrit Joséphin Péladan1. La série des Dames au pantin fait évoluer Rops vers le symbolisme et l'allégorie.
1. Joséphin Péladan, « L’Esthétique au salon de 1883 », in L’Artiste, vol.1, mai 1883, p. 341
Le Bouge à matelots (1875) : "Aussi je vais retourner au plus vite à Paris pour y retrouver la petite ivresse de là-bas, qui fait sortir du crayon les belles imaginations"1. Les maisons closes, les filles des boulevards, les femmes absinthées, toute cette vie nocturne, Rops la cotoie et la traduit dans un esprit proche de Toulouse-Lautrec mais aussi de Zola, des frères Goncourt ou de Maupassant. Dans Le Bouge à matelots, la composition diagonale confère une dynamique à l’atmosphère du lieu. Les regards se perdent dans toutes les directions, laissant imaginer l’effervescence du cabaret. Une prostituée embrasse un matelot, une autre, à moitié nue, se laisse aborder par un marin, tandis que le geste d’une troisième, le bras levé tenant une bouteille d’alcool donne un rythme vif et enlevé à la scène. Une nature morte aux vêtements revèle la mesure du talent de dessinateur de Rops qui mêle ici une série de techniques comme le pastel, l'aquarelle et rehauts de gouache.
1. Lettre à Rops à Eugène Rodrigues, Heyst, 19 septembre 1882. www.ropslettres.be, n° d'édition 312
Le Sphinx (1884) : C’est en 1882 que Jules Barbey d’Aurevilly, l’écrivain dandy et décadent par excellence, donne l’autorisation à l’éditeur Lemerre (Paris) de republier ses nouvelles réunies sous le titre Les Diaboliques qui étaient sorties chez Dentu en 1874. Lemerre fait appel à Rops pour illustrer les 9 nouvelles qui composent l’ouvrage. Rops lit attentivement chaque récit et s’en inspire pour faire de chaque image, un résumé de l’esprit du texte. Barbey n’appréciera que moyennement le travail de Rops qui pourtant, a beaucoup de succès auprès des lecteurs de l’époque. Rops saisit, dans cette série, l’esprit de modernité de son siècle, en unissant sensualité et morbidité. Le Sphinx est la première illustration de l’ouvrage des Diaboliques, c’est sans doute pour cette raison que Rops en fit un dessin en couleurs. Une femme, enlacée à une sphinge en pierre, est épiée par un Satan habillé en dandy du 19e siècle.
Pornocratès (1878) : "Le dessin représente une grande femme nue, quart nature, se détachant sur un ciel bleu foncé parsemé d’étoiles et où des amours – 3 amours ! volent en s’enfuyant, à tire d’aîles, la femme, les yeux bandés est conduite en aveugle par un cochon. C’est intitulé – Pornocratie – Sous la frise les petits génies des beaux Arts courbent – en gémissant !! la tête !! La femme est chaussée & gantée de noir"1, décrit l'artiste. Pornocratès, La Dame au cochon ou Pornocratie, trois titres pour nommer ce dessin majeur de Rops qui illustre aujourd'hui encore l'esprit décalé et impertinent de l'art belge. La femme moderne piétine les arts anciens, figés dans la pierre. Elle se laisse guider par ses instincts, symbolisés par le cochon. C'est donc un dessin qui représente une double profession de foi pour l'artiste : en art, un refus virulent pour l'académisme et dans la société, une dénonciation de l'hypocrisie bourgeoise qui cache une certaine liberté de moeurs.
1. Lettre de Rops à Maurice Bonvoisin, Paris, 20 février 1879. www.ropslettres.be, n° d'édition 475
La Plage de Heyst (1886) : "Mes dunes blanches, mes belles flamandes blondes, mes vastes horizons et la mer nacrée à nulle autre pareille, qui ont fait si longtemps ma joie, & qui la feront encore je l’espère!"1 Rops aime peindre dans la nature à la Mer du Nord. Il plante son chevalet sur la plage et peint les ciels nuageux de ces nouveaux lieux de villégiature de la bourgeoisie belge et étrangère qui découvre la société de loisirs. Sa Plage de Heyst, avec ses touches de lumière et de couleurs éparses, la silhouette féminine bravant le vent, prend des airs de peinture impressionniste. La palette de Rops s'éclaircit, la technique est subtile, l'atmosphère prédomine. "Il y aura peut-être à espérer beaucoup d’un mouvement de peinture bizarre qui commence maintenant sous le nom d’École des Impressionnistes & a pour caractéristique une peinture claire dans le genre de celle qu’on fait beaucoup maintenant en Belgique mais plus heurtée plus enlevée. C’est plein de choses grotesques mais il y a là trois bonshommes, Caillebotte & Degas & Monet (pas Manet) qui sont d’une jolie force & très artistes."2
1. Lettre de Rops à Armand Rassenfosse, Paris, 26 juillet 1893. Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier, Cabinet des Manuscrits, II 6957 (19) 1893
2. Lettre de Rops à Armand Rassenfosse, Paris, s.d. www.ropslettres.be, n° d'édition 881