Chaque jour, le monde semble de plus en plus petit. Ou plus exactement, les distances sont franchies de plus en plus vite. Depuis novembre 1989, date de la chute du mur de Berlin, c'est effectivement une autre conception des relations internationales qui est née, et toute la société européenne s'en ressent, tant du point de vue politique, économique qu'humain. L'art en est un puissant révélateur.
Namur sera pendant un mois un point de convergence de ces échanges, puisque la Galerie Détour et le Musée Rops ont développé des synergies dans ce sens.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, il existe plusieurs points communs aux quatre artistes Gortchakova, Stöhrer, Troschke et Voss. De ricochet en ricochet, la toile d'araignée s'est tissée autour de Jürgen Weichardt, professeur et critique d'art à Oldenburg, qui a ouvert son regard vers l'Europe Centrale et l'Europe de l'Est depuis au moins 20 ans.
C'est à Moscou qu'il rencontra Eugénia Gortchakova. Celle-ci vint à Paris, en 1991 et 1992 pour y développer son travail de peintre. Puis elle décida de s'installer à Oldenburg. J.Weichardt l'introduisit dans l'atelier de Wolfgang Troschke qui pendant plusieurs années a travaillé comme imprimeur d'art, autant que comme artiste. Il édita donc quelques sérigraphies de Gortchakova. Or, Troschke et Weichardt connaissent fort bien Walter Stöhrer le berlinois et Jan Voss parisien d'adoption depuis de nombreuses années. Ainsi, la boucle s'est bouclée de Moscou à Oldenburg, et de Berlin à Paris.
Pourquoi Namur est-elle donc la croisée des chemins ?
Parce que Félicien Rops usa, à ravir, du vernis mou et de la lithographie, tout comme Troschke, aujourd'hui.
Parce que Félicien Rops s'inspira largement d'écrivains et poètes, comme le fait Stöhrer, avec Artaud, Bataille, Brinkman...
Parce que Félicien Rops développait un esprit humoristico-satirique tel que celui qu'on découvre chez Jan Voss.
Parce que Félicien Rops, européen avant la lettre, avait orienté ses intérêts vers l'Europe Centrale (Prague et Budapest notamment) exactement comme J.Weichardt.
Enfin, les oeuvres des quatre artistes entretiennent avec le concept du temps et de l'écriture des relations privilégiées. A l'intérieur d'une structure formelle rigoureuse, apparemment mathématique, organisée en fuseaux parallèles, Gortchakova "écrit" les subtiles nuances d'une multitude de petits traits, notés seconde après seconde comme processus du temps qui coule. A l'inverse, Troschke, Stöhrer et Voss, à travers d'apparentes pulsions sauvages, organisent savamment les griffures, jambages, accents de nouveaux alphabets inscrivant le temps opératif qui se déroule par instants dilatés.
La confrontation convergente de ces artistes enrichit. L'antithèse n'est qu'apparente. Elle invite au questionnement, au regard scrutateur. Elle conduit au développement du sens de la nuance. En cela même, les deux expositions sont incontournables car complémentaires.
Claude Sinte
ÉCRITURES-AUTRES
Stöhrer - Troschke - Voss
Musée Félicien Rops
Rue Fumal, 12
5000 Namur
Tél: 081/22.01.10
Du 24 avril au 23 juin 1996,
de 10h à 18h, sauf le lundi
PEINTURES ÉCRITES AU-DELÀ DU TEMPS
Gortchakova
Galerie Détour
Avenue Jean Materne, 162
5100 Jambes
Tél: 081/24.64.43
Du 24 avril au 18 mai 1996,
de 14h à 18h, sauf les dimanche, lundi et jours fériés
Eugenia Gortchakova est née à Kirov (Russie) en 1950. Elle étudie la philologie et l'histoire de l'art à Moscou. Elle se met ensuite à peindre à Moscou, jusqu'en 1991, puis à Paris pendant deux ans, avant de se fixer à Oldenburg. Elle participe à de nombreuses expositions d'ensemble en Allemagne et à l'étranger. Nombreuses expositions personnelles à Moscou, Oldenburg, Paris, Bielefeld, Hannovre,Bochum, Wilhelmshaven etc...
"Ce que nous percevons d'abord comme uniforme s'avère bientôt comme porteur de subtils changements. Les couleurs identiques se déplacent. Dans la partie inférieure du tableau, la taille des bandes s'élargit imperceptiblement vers l'extérieur et entre ainsi en relation avec l'organisation circulaire de la partie supérieure. Nous percevons des processus à travers des différences infimes, des évolutions. Chaque peinture a sa propre tension, sa propre densité et intensité de temps." (Erich Franz)
Walter Stöhrer originaire de Stuttgart (1937) étudia à Karlsruhe avant de se fixer à Berlin en 1959. Il y enseigne depuis 1986. Il est une des figures marquantes de l'art contemporain en Allemagne.
Aucun compromis dans ses peintures, gravures et dessins. Dès 1964, il s'inspire de textes d'écrivains radicaux qu'il va même souvent noter sur le support. Puis il intervient par successions d'actes rageurs et de moments d'intense réflexion.
Wolfgang Troschke est né en 1947 à Helmarshausen. Il étudie à l'école des arts et métiers de Münster, puis développe une intense activité d'imprimeur d'art. Depuis 1978, il est professeur à la Fachhochschule de Münster. Il a remporté 12 prix internationaux de gravure dans les plus grandes biennales internationales.
Sans doute une certaine violence ressort-elle à première vue de la couleur et du trait, mais à y regarder de plus près, le raffinement ne manque pas dans les constants mélanges de couleurs, dans les caresses actées par le vernis mou, dans les transparences des lavis lithographiques.
Jan Voss est le plus âgé (Hambourg 1936) et le plus célèbre des artistes exposants à Namur. Il étudie à l'Académie des Beaux-Arts de Munich. Il vit à Paris depuis 1960.
On le retrouve dans d'importantes expositions d'ensemble telles que Mythologies quotidiennes (Paris 1964) La bande dessinée et la figuration narrative (paris 1965-1967) L'art vivant à la fondation Maeght (St Paul de Vence 1968-1980) Documenta IV (Kassel 1968) Tendances de l'art en France, musée d'art moderne de Paris (1979) etc...
A première vue, l'image qu'il propose est souvent fragmentée, entrelacée, dispersant le regard. Parfois encore, la force de sa synthèse iconique peut inviter à une perception immédiate. En fait, elle impose une lecture retardée, activant le mental autant que le visuel. On y perçoit alors l'humour, les références profondes à nos mythes actuels.