L'absinthe, cet apéritif en vogue au siècle de Rops, n'est plus guère prisée de nos jours, mais conserve universellement sa légende et son aura de philtre à la fois fascinant et redoutable.
" La Fée verte ", " l'Atroce sorcière ", " Notre-Dame de l'oubli ", avait en effet le pouvoir d'emporter ses consommateurs dans l'euphorie et les visions d'un monde délivré des vicissitudes et des misères de l'époque ; les rites qui accompagnaient sa dégustation en faisaient une " herbe sainte " aux pouvoirs extraordinaires et aphrodisiaques, un breuvage d'amour. Mais pour ceux qui n'avaient que ses vertus comme seul bonheur, " la verte " devenait un piège, un gouffre d'hallucinations et de folie. On finit par l'interdire au début du vingtième siècle...ce qui ne fit qu'accroître la fascination pour cette boisson désormais prohibée.
Liqueur d'hommes, au départ, l'absinthe devient au 19e siècle le breuvage de prédilection que l'on commande dans les bals publics qui fleurissent à Paris, lieux populaires de fréquentation plus ou moins " honnêtes " (le Bal Bullier, le Bal Mabille, l'Elysée-Montmartre, la Closerie des Lilas,...) où se retrouvent, selon l'endroit, des étudiants, peintres et poètes, des chiffonniers, des " messieurs " qui paient pour des " dames ", pour des filles qui viennent là, mener la danse, boire de la " verte " et, souvent, finissent dans la misère.
La bohème artistique parisienne du 19e siècle fit un usage intense de l'absinthe, dans sa transgression de la vie rangée et conformiste, espérant y trouver une source de création. Sans pour autant devenir une muse, l'absinthe fut ainsi célébrée par maints écrivains, poètes et peintres de l'époque : Paul Verlaine, dans ses Confessions, Emile Zola, avec l'histoire tragique de Nana, Charles Baudelaire, Victor Hugo, Arthur Rimbaud, Alfred de Musset... et pour les peintres, à cette époque, Honoré Daumier, Edouard Manet, Henri de Toulouse-Lautrec, et plus tard, Edward Munch, Léon Spilliaert...
Félicien Rops, qui fréquenta assidûment les bals parisiens, en tira ses œuvres les plus notoires, dont la fameuse Buveuse d'absinthe, sans compter l'illustration du livre de Alfred Delvau, Les Cythères parisiennes, histoire anecdotique des bals de Paris, et des œuvres telles que La Dèche, Le Gandin ivre, Le Bouge à matelots, toutes ayant pour cadre ces lieux où l'on appréciait l'absinthe.
L'exposition, organisée avec la collaboration du Musée de l'absinthe à Auvers-sur-Oise, propose à la fois une découverte de cette boisson mythique, son origine, sa fabrication, ses rites, dans le cadre de l'époque, de la vie sociale, artistique et politique, et d'autre part, des documents, affiches, livres, poèmes, œuvres graphiques et peintes, inspirés par la " Fée verte ". Plusieurs publications sur le thème seront en vente au musée. Nous vous présenterons entre autres des œuvres de Honoré Daumier, Henri Evenepoel, Edouard Manet, Alfons Mucha, Léon Spilliaert, Rick Wouters, etc