Dans le cadre de l’accord culturel passé entre le Commissariat général aux relations internationales et la République d’Estonie, le Musée provincial Félicien Rops présente une exposition sur l’oeuvre d’Eduard Wiiralt, le plus connu et le plus apprécié des graveurs estoniens jusqu’à présent. Son oeuvre et son travail ont fondé, en Estonie, une forte tradition de pratique et de passion pour l’estampe, bien qu’il reste fort peu exposé et connu en Europe de l’Ouest.
Eduard Wiiralt naît en 1898 dans la Province de Saint-Pétersbourg où ses parents se sont exilés pour trouver du travail. Onze ans plus tard, accompagné de leurs trois enfants, le couple se réinstalle en Estonie. Passionné d’art, Eduard Wiiralt s’inscrit en 1915 à l’Ecole des arts et métiers de Tallinn spécialisée dans les arts appliqués. Il dessine beaucoup et fait ses premières gravures sur bois, puis eaux-fortes. Son activité d’illustrateur commence dès 1917. En 1919, il entre à l’école des beaux-arts « Pallas » à Tartu, dans l’atelier du sculpteur Anton Starkopf où règne une atmosphère moderniste et créatrice. Le « Pallas » est fasciné par l’expressionnisme qui se propage rapidement dans l’art estonien.
En 1921, Wiiralt décroche une bourse et part étudier à l’école des beaux-arts de Dresde où il se perfectionne en sculpture et pratique activement la taille douce et la lithographie. Les oeuvres de cette période sont marquées par l’influence d’un artiste comme Otto Dix, dépeignant le grotesque et la désorganisation de la ville après la guerre, les problèmes sociaux entraînant prostitution et débauches. En 1923, Wiiralt retourne à Tartu pour y obtenir son diplôme de sculpteur et graveur. Il y enseigne pendant un an, tout en préparant son départ pour Paris.
Wiiralt arrive à Paris en 1925, avec une bourse de la Fondation du Capital culturel estonien. Sur place, les artistes d’origine slaves sont très solidaires et Wiiralt reçoit de l’aide de beaucoup d’entre eux. Entre 1927 et 1929, il réalise des illustrations pour les Editions du Trianon (François Mauriac, Supplément au traité de la concupiscence de Bossuet, etc). Wiiralt est fasciné par la xylographie et le monotype où commencent à prédominer ses teintes favorites : vert, bleu, violet-rouge. Wiiralt participe à la vie de bohème parisienne, mais reste lucide sur l’influence démoralisante de la jouissance effrénée de la vie. Sa gravure L’Enfer (1930-32) est l’un de ses chef-d’oeuvres où têtes monstrueuses, personnages surréalistes et situations grotesques se côtoient. L’artiste dévoile dans cette composition allégorique et symbolique, ce qui semble obséder l’homme pour lui-même et pour la vie en société. Dès 1927, Wiiralt expose de façon continue au Salon d’Automne de Paris, au Salon des Tuileries en 1928 et participe à des expositions internationales d’art graphique en Europe et en Amérique.
1933 marque un tournant dans la carrière de l’artiste qui subit une crise physique et spirituelle importante. L’expressivité est remplacée par un discours de forme plus calme et plus proche de la nature. Cela se marque dans les dessins qu’il ramène d’un voyage au Maroc entre 1938 et 39. Après l’éclatement de la seconde guerre mondiale, Wiiralt revient dans son pays natal où il est considéré comme un maître et devient artiste-consultant à l’Imprimerie nationale, poste très convoité. Entre temps, l’Estonie est occupée par l’Union soviétique et le pouvoir soviétique s’instaure fermement à l’été 1940. Après le bombardement dévastateur de Tallinn en mars 44 et se doutant du dénouement de la guerre, Wiiralt prend comme prétexte sa prochaine exposition à la Maison des Artistes de Vienne pour quitter le pays. Le Musée Albertina achète quelques oeuvres de l’artiste qui, début 1945, fuit la guerre à travers l’Allemagne sous les bombardements violents. Ce calvaire s’achève en mai 1945 en Suède où il séjourne plusieurs mois dans un camp de réfugiés.
En octobre 1946, Wiiralt est de retour à Paris où il grave des planches pour des commanditaires estoniens en exil dans la capitale française. Les créations des dernières années de l’artiste sont empreintes d’une réflexion paisible sur la nature, l’art, le plaisir de pratiquer l’art. Il meurt en janvier 1954 d’un cancer et est enterré au cimetière du Père-Lachaise.
L’exposition au Musée provincial Félicien Rops présente prioritairement les oeuvres de la première partie de vie de l’artiste : ses années à Dresde et le début de son travail à Paris. L’oeuvre de l’artiste surprend, choque, inquiète, mais ne laisse pas indifférent.