Rodin que je ne connaissais pas et qui ne me connaissait pas est venu un beau soir, me prier de lui montrer toute mon œuvre, ce que je fis gracieusement – je l’avais encore presque complète à cette époque. Il me couvrit de laudations excessives et s’en fut. Le lendemain, Mirbeau me répéta ses éloges & me dit : « Ces embrassements fantastiques, ce mélange de nature & de rêve ont tellement frappé Rodin, qu’il m’a dit qu’il n’avait plus peur, et que lui aussi allait en faire des embrassements humains ! » et il en fit ! », raconte Rops en 1893 à propos de sa rencontre avec le « statutaire » Rodin .
De cette rencontre qui eut probablement lieu en 1884, il existe une deuxième version écrite par Emile Bergerat, chroniqueur parisien. Il y relate que Rodin aurait invité Rops à découvrir une œuvre en chantier dans son atelier : La Porte de l’enfer. Rops, ému, se serait alors détourné pour verser deux larmes car, « son idéal du Beau était là, sous ses yeux, réalisé sur terre, en France ».
Cette sensibilité partagée poussera les deux artistes à se côtoyer, profitant de leur réseau de relations artistiques et littéraires commun pour se fréquenter lors d’événements mondains ou amicaux. Cependant, les deux hommes évoluent dans des carrières diamétralement opposées : l’un sculpte, l’autre dessine et grave ; l’un se mesure physiquement à la matière, avec les prouesses physiques que cela suppose, dans un atelier où se succèdent ouvriers et modèles, l’autre crée seul avec sa pointe sèche, sa plaque de cuivre, ses crayons et la presse, choisissant ses modèles un à un ; l’un entre dans l’espace public avec des sculptures commandées par l’état, l’autre crée des illustrations pour des livres, des dessins scandaleux pour des amateurs choisis et néglige volontairement de contribuer à des expositions.
Tous deux proches de la nature et partageant un intérêt sans limite pour la modernité et le corps des femmes, Rops et Rodin sont effectivement en communion d’esprit, bien que les techniques qu’ils utilisent induisent une visibilité et une reconnaissance différentes.
« Rodenbach, ce soir, chez Mme Daudet, causait de la hantise, dans la cervelle de Rodin, des compositions érotiques de Rops. Il montrait le sculpteur, vivant quelques années dans l’intimité du graveur, dans la familiarité de ses œuvres les plus secrètes et s’en souvenant, s’en souvenant trop. », écrit Edmond de Goncourt dans son Journal, le 15 mai 1890.
L’exposition au musée Félicien Rops, fruit d’une collaboration avec le musée Rodin de Paris, retrace la rencontre entre les deux hommes. A travers un parcours évoquant l’ambiance de l’atelier de Rodin, le visiteur découvrira dessins, plâtres et documents permettant d’établir leurs affinités esthétiques. Leur vision moderne commune d’une « nouvelle Eve », qu’elle soit dessinée ou sculptée, révèle le corps féminin sans artifice ni pudeur.